jeudi 22 avril 2010

Le management par le stress gagne la Poste

Le management par le stress gagne la Poste

Après France Télécom , c'est au tour de la Poste de subir un profond changement qui la mènera sans doute à la privatisation. Le blogueur associé SuperNo met en garde contre les conséquences d'un tel remaniement. En cause le stress au travail sans que le service soit forcément de meilleur qualité.


Rappel : Nous sommes en France, pays des droits de l’homme et du « bien vivre ». Au XXIe siècle. La plupart des tâches fatigantes et/ou chiantes sont prises en charge par des machines (voire par des ouvriers Lettons ou Polonais ), nous laissant plus de temps pour être heureux. Enfin, ça c’est la théorie.

Pourtant, dans ce beau pays, et à cette belle époque, une enquête judiciaire vient d’être ouverte pour « harcèlement moral » contre France Telecom , ex-fleuron de feu notre « Service Public ».

On connaît depuis longtemps les « nettoyeurs ». Et pas seulement dans les films de Luc Besson : des gens qui sont payés pour fermer une usine, ou pour la délocaliser en Chine ou je ne sais quel autre « paradis social ». Pas de scrupules, même si on a empoché des milliards de subventions de l’État, la «création de richesse pour l’actionnaire » avant tout.

Mais il y a un hic. Dans certaines structures archaïques, mais fort heureusement en voie de démolition rapide, des personnes font valoir un statut, certes obsolète, mais non encore officiellement abrogé malgré les efforts des divers pouvoirs en place : fonctionnaire ! Un peu comme un gamin brandit sa carte « increvable » au « Mille Bornes ».

Ces gens-là ne comprennent décidément rien aux impératifs du marché, de la compétitivité, de la concurrence libre et non faussée, du challenge, de la performance, de la jouissance para-orgasmique qui envahit l’ego du manager qui vient d’exploser ses objectifs et ses concurrents. Mais c’est ainsi, on ne peut hélas pas les toucher : fonctionnaires.

Alors, les inventeurs du concept de « nettoyeur » en ont dérivé un modèle adapté à ces contraintes : le harceleur. Son boulot ? Puisqu’on ne peut pas directement les virer, on va leur pourrir la vie jusqu’à ce qu’ils craquent et se cassent. Ou se suicident. Un de moins ! Suivant !

Attention, je ne prétends pas que France Telecom, puisque c’est de cette merveilleuse compagnie qu’il s’agit, a inventé le harcèlement moral. Des cheffaillons au boulot, il y en a toujours eu. Et dans ces grandes boîtes à la structure pyramidale, le grand chef n’a qu’à engueuler le chef du dessous, il sait très bien que l’engueulade va se répercuter jusqu’en bas, et que les cheffaillons feront le ménage à leur place. De la même manière que Sarkozy n’a même plus besoin de virer les journalistes qui disent du mal de lui, leurs patrons s’en chargeant spontanément…

Une enquête de l’inspection du travail (ces héros des temps modernes, qui malgré leurs sous-effectifs scandaleux et le mépris dont il font l’objet, tentent désespérément de faire appliquer le « Code du Travail », lui aussi grignoté en douce à chaque réforme et désormais en voie de disparition), a donc conclu que les grands chefs de France Telecom, faute de pouvoir « nettoyer » proprement, ont mis en place une politique de « management par le stress » (c’est comme ça qu’ils appellent leurs basses oeuvres), dont le but est d’aligner la politique de la maison sur les dogmes libéraux en vigueur : moins d’effectifs, plus de profits !

35 suicides, bien sûr, on en a beaucoup parlé. Mais derrière ces suicides, combien de dépressions, combien de démissions forcées, combien de tonnes de Prozac ou de Lysanxia, combien de déménagements subis, combien de divorces, combien de souffrance inutile ? Ah, oui, la souffrance, au contraire des suicides, ne se mesure pas…

Ceux qui ont conçu cette saloperie ont pourtant l’air bien urbains ! Portant beau, encravatés, et intelligents, avec ça. Enarques, polytechniciens, même, peut-être. Transformés en bêtes sauvages, en bourreaux implacables, simplement par soumission stupide à un système inhumain. Mais ô combien dominant. Je ne vais pas vous faire de la philosophie de comptoir sur l’expérience de Milgram ou l’art et la manière d’encourager un bête agent SNCF à entasser des juifs dans des wagons à bestiaux, mais vous avouerez qu’il y a de l’idée.


Monsieur Karcher qui porte si bien son nom

Tiens, l’ex-société sœur de France Telecom, La Poste, elle aussi en cours de démantèlement et d’adaptation au monde moderne (du moins, à ce qu’ils prétendent être le monde moderne), fait exactement la même chose : un cheffaillon parisien, portant le nom prédestiné de « Karcher » a été pris en flagrant délit de harcèlement d’employés qui ne vendaient pas assez de services aux pigeons clients. Il menaçait, par écrit de surcroît, de les « exterminer » !

Cependant quelques extraits de son jargon mettront aisément la puce à l’oreille des plus sensibles : un mec qui me parle de « rationalité de l’attente », d' « automates d’affranchissement », d‘« automates bancaires », de « signalétique colorielle », et surtout emploie l’ultralibéral jargon anglosaxon « amélioration de l’expérience client », je ne lui prêterais pas mon peigne

Tiens, en 1982 et 83, j’ai fait deux « jobs d’été » au CNET (Centre National d’Etudes des Télécoms) de Lannion en Bretagne. C’est là que venait d’être inventé le Minitel, dont les djeuns se gaussent aujourd’hui, mais qui 15 ans avant l’explosion d’internet, était déjà une sacrée révolution. Les gens étaient sympa, compétents, travaillaient juste ce qu’il faut (surtout pas plus) mais l’ambiance était agréable et saine.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts lannionnais, le CNET est devenu « Orange Labs », ça fait plus moderne, et en octobre 2009, un de ses ingénieurs s’est suicidé.

Lannion, c’est aussi là que Didier Lombard, le précédent PDG de France Telecom poussé vers la retraite, avait annoncé la « fin de la pêche aux moules »…


Que ce soit à France Telecom ou à La Poste, la question est de savoir si ces agissements ne sont que le fait d’un cheffaillon arrogant et stupide, ou plus grave, sont la conséquence d’une « politique globale », toujours la même d’ailleurs. Poser la question, c’est y répondre, ce que confirme une note de la CFDT, « syndicat » pourtant peu connu pour sa contestation radicale de l’ordre établi.

« Or, il ne faudrait pas que la forme scandaleuse de ce courriel repris dans la presse cache le fond en mettant hors jeu un lampiste, tout dirigeant de la Poste Paris Sud qu’il fût. La vérité est que ces propos ne sont qu’une traduction, certes intolérable, provocatrice et maladroite, de la politique menée par l’Enseigne et le groupe La Poste au niveau national et de la stratégie du donneur d’ordre qu’est la Banque Postale. »

Tout est dit !

Chez France Telecom, ils ont réagi, fait un sondage, et demandé à l’encadrement d’être aux petits soins pour le personnel. Comme le dit une employée, la personne qui lui demandait tous les matins quand elle démissionnait lui demande désormais comment ça va…

Quel gâchis ! Et pour quel résultat ? Le téléphone marche-t-il mieux ? Les employés délocalisés qui sont censés résoudre les problèmes de serveur SMTP d’Orange sont-ils moins incompétents ? Le courrier met-il moins de temps qu’il y a 50 ans pour parvenir à son destinataire ? Eh bien non, même pas ! Simplement, « l’usager » n’était pas encore considéré comme une tirelire sur pattes passée à la moulinette du marketing.

Mais « l’usager », on s’en tape. L’essentiel est de transformer de paisibles officines de Service Public en boîtes « comme les autres », pires que les autres, même. Ultra performantes, prêtes à bouffer leur concurrents, et dont le but ultime est de « créer de la richesse pour ses actionnaires »®. A tout prix. Même celui de la vie humaine.

Certains responsables de ces saloperies vont comparaître pour « harcèlement moral ». Bien fait. Dans un tribunal correctionnel, ils croiseront dealers et voleurs de téléphone portables, qu’ils toiseront d’une moue dégoûtée du haut de leur morgue supérieure, et encourront une petite amende. Il faut dire qu’ils ne se contenteront pas d’un jeune avocat commis d’office, et que leur baveux aux honoraires astronomiques saura convaincre le juge que son client est un homme respectable… Contrairement aux dealers, ils n’iront donc pas en taule, sinon « avec sursis ». La justice n’a pas retenu l’accusation de « mise en danger de la vie d’autrui ». On peut se demander pourquoi.

Pourtant, ces nuisibles, ces assassins, ces pourrisseurs de vie, qui en plus de casser le Service Public, ont cassé des milliers de personnes, ne seraient-ils pas plus à leur place au fond d’un cachot humide, à méditer pendant quelques années sur la perversion de leur cerveau et du système qui les motive ?

PS : Article 222-7 du code pénal

Les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sont punies de quinze ans de réclusion criminelle.

(et je ne sais pas s’il y a des circonstances aggravantes lorsque les violences sont administrées en réunion…)

A voir:-Video Scandale du PDG France Télécom Didier Lombard
envoyé par Republique-FR.(Dailymotion)
-Vidéo Remi Karcher, dir.La Poste Paris Sud présente...(Youtube)

Paru le 21 4 2010
(Source:Marianne)

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