mercredi 22 septembre 2010

La fin programmée de la médecine du travail

La fin programmée de la médecine du travail


C'est sous la houlette d'un fils de médecin du travail, Eric Woerth, que la majorité UMP a voté, mercredi 15 septembre, la fin de la médecine du travail telle qu'elle existe en France depuis 1946. L'amendement 730 au projet de loi sur les retraites, introduit in extremis il y a quelques jours, supprime l'obligation du recours à un médecin du travail pour surveiller la santé des salariés, une "équipe pluridisciplinaire" (composée d'infirmiers, de techniciens ou de consultants, moins payés et moins protégés) faisant maintenant l'affaire.


Sur le même sujet Point de vue Sur la réforme des retraites, un renoncement peut en cacher un autre Point de vue Il est encore temps pour le gouvernement d'entendre le rejet de son projet Point de vue La fin programmée de la médecine du travail Point de vue La normalisation de la politique en Suède Point de vue Objectifs du millénaire : nous n'avons le droit ni de faiblir ni de renoncer Point de vue Circulaire sur les Roms : nous portons plainte contre le gouvernement Point de vue "L'attitude du pouvoir vis-à-vis de l'Europe isole la France" Disparaît également la marque de fabrique de la médecine du travail, qui est "d'éviter toute altération de la santé du travailleur du fait de son travail" : désormais, les médecins ne feront que "préserver la santé physique et mentale des travailleurs, tout au long de leur parcours professionnel", formulation qui supprime la référence au lien causal entre travail et santé. Enfin, le lien hiérarchique entre le directeur de service de santé au travail (représentant les employeurs adhérents) et le médecin est renforcé, le premier décidant par exemple des missions du second, au détriment du principe d'autonomie médicale.

Bien que le ministre du travail se défende d'avoir agi sous la pression du patronat, l'analyse historique montre que cette "réforme" ne fait que parachever vingt-cinq ans d'activisme patronal en faveur de la "démédicalisation" de la prévention des risques professionnels. En 1987, dans un rapport sur "L'avenir de la médecine du travail", le syndicat patronal des directeurs de service de médecine du travail estimait que "la médecine du travail française est médicocentrique" et proposait de passer à un système composé de "moins de médecins, plus d'infirmières, plus d'ergonomes".

Les années 1990 auraient pu être celles du renouvellement de la profession de médecin du travail par l'ouverture des voies d'accès mais elles ne l'ont pas été, en grande partie à cause de l'inaction patronale. Dans une réunion en novembre 1995, les membres du syndicat des directeurs de service exprimaient par exemple leur crainte qu'un projet de nouvelle formation en médecine du travail ne vienne "figer l'évolution de la pluridisciplinarité pour de nombreuses années", car, disaient-ils encore en 2001, il faut "alimenter le système en ressources médicales sans l'engorger".

L'insistance sur la pluridisciplinarité dans la prévention, perçue à raison par les médecins comme un enrichissement de leur activité professionnelle par l'ajout de nouvelles compétences, a permis de dissimuler la volonté patronale de substituer aux médecins du travail des professionnels moins autonomes, sans statut protecteur.

Le résultat est là : depuis janvier 2002, la suppression de la médecine du travail a gagné jusqu'au nom des services, désormais appelés "services de santé au travail" (comme le préconisait le rapport patronal de 1987). Aujourd'hui, 75 % des médecins du travail ont plus de 50 ans, sans espoir de renouvellement : la profession se meurt. Soulignons au passage que les intervenants "pluridisciplinaires", qui étaient censés les remplacer, ne sont aujourd'hui que quelques centaines - ce qui n'empêche que certains ont déjà été licenciés pour avoir voulu prétendre à la même autonomie professionnelle que leurs collègues médecins.

Prévention sans risque

Pourquoi cet acharnement constant contre les médecins du travail, qui culmine aujourd'hui ? Le médecin et député UMP de l'Eure, Guy Lefrand, en a donné le fin mot lors des intenses débats parlementaires du mardi 14 septembre : "Nous ne sommes plus dans le médico-juridique, nous devons passer au médico-sanitaire." La majorité se soucie certes de prévention des risques professionnels - notamment parce qu'un salarié sain est plus productif -, mais d'une prévention qui ne passe pas par la déclaration de maladies professionnelles ou les procès pour faute inexcusable de l'employeur, tels ceux des victimes de l'amiante. Une prévention sans risque juridique pour l'employeur, et sans surcoût pour la branche accidents du travail-maladies professionnelles de l'assurance-maladie, qui est financée par les employeurs.

Or, certains médecins du travail avaient une fâcheuse tendance à "produire du papier", en remplissant des formulaires de déclaration de maladie professionnelle, en versant des pièces au dossier judiciaire des salariés... Avec les nouvelles dispositions votées cette semaine, le fils de Paul Woerth, médecin du travail du BTP dans l'Oise, spécialiste de l'étude de la noyade, a non seulement refusé de porter secours à une profession qui sombrait, mais lui a asséné un coup fatal.

Pascal Marichalar, sociologue à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)
(Source: Le Monde.fr. Article paru dans l'édition du 23.09.10)

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