mercredi 15 septembre 2010

Retraites: au bord de la crise de nerfs, l’Assemblée vote la réforme

Retraites: au bord de la crise de nerfs, l’Assemblée vote la réforme


Attention, grenade dégoupillée au Palais Bourbon! Après une nuit blanche sous tension, avec plus de 16 heures de débats quasiment en continu sur la réforme des retraites — du jamais vu de mémoire d’assesseur — et une matinée de guerre de tranchées sur la décision de Bernard Accoyer de suspendre la séance-fleuve, les députés ont finalement voté, comme prévu, cet après-midi. Ils ont adopté, par 329 voix (UMP, Nouveau centre), contre 233 (gauche) — tandis que les villepinistes s'abstenaient — le projet de loi. Dans une ambiance explosive.

Dans l’hémicycle ce mercredi après-midi, les députés de gauche sont de retour. Pour en découdre. Debout une bonne partie des interventions, écharpe tricolore en bandoulière, attaquant bille en tête une réforme «injuste», un passage en force de la majorité et déplorant une «crise morale et politique dont M. Woerth est devenu le symbole». Au premier rang, le ministre du Travail, à côté du secrétaire d’Etat, Georges Tron — mais sans le Premier ministre, François Fillon — ne bronche pas.

Dans les rangs de droite aussi, on s’agite, mais du côté des non-inscrits: Daniel Garrigue (ex-UMP), le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan et, au Modem, François Bayrou et Jean Lassalle, plantés dans les travées, furibards de ne pouvoir intervenir, car n’appartenant à aucun groupe. Le groupe UMP, lui, fait bloc, ovationnant le président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer, hué par l’opposition.

Rembobinons: mercredi matin, 9h40. Au terme d’une nuit de débats, les députés vont s'engouffrer dans un long tunnel d’explications de vote. Sont inscrits 165 élus pour 5 minutes chacun, soit 13 heures 50 minutes de prises de parole. De quoi repousser le vote solennel tard dans la soirée. Accoyer, qui s’était déjà mis à dos le groupe PS en leur signifiant, vers 7 heures, l’épuisement de leur temps de parole - 19 heures sur les 64 heures de débat - en a soupé. Alors qu’une vingtaine de députés ont défilé à la tribune, il coupe court et suspend la séance. Tollé des élus de gauche qui le pourchassent dans les couloirs en criant «démission».

«Je salue son courage, ça vaut une dépêche!»
Légitime défense, leur rétorque la droite, qui dénonce une tentative d’obstruction. «Je ne laisserai pas, au travers de petites manoeuvres, l’obstruction qui est paralysante et dévalorisante pour notre Parlement, se réinstaller», se défendra Accoyer au perchoir. «A un moment, il faut dire stop», gronde le député et secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand.

Convoquant un point-presse à midi, Jean-François Copé joue le patron des députés UMP outré. Il assure que son groupe est «totalement solidaire» de la décision de suspendre la séance. «L’opposition a eu tout le temps nécessaire pour débattre. Le numéro du PS sur le déni des droits de l’opposition, ça commence à bien faire !», s’agace-t-il. Nous ne sommes dupes de rien du tout, nous avons compris la combine.» Copé jetant des fleurs au président de l’Assemblée nationale, voilà qui est inhabituel: «Je salue son courage et sa fermeté, ça, ça vaut une dépêche!»

A deux pas, son homologue du PS, Jean-Marc Ayrault est aussi très remonté. Dans la matinée, il a publié un communiqué, réclamant la «démission sans délai» d’Accoyer, «coupable de forfaiture». «A aucun moment, il n’y a eu tentation d’obstruction», promet-il. Et d’enfoncer un président de l’Assemblée «énervé, impatient d’exécuter les ordres de l’Elysée, qui a agi en chef de clan», en chargeant au passage Nicolas Sarkozy «qui est responsable de tout ça». Comprendre: «la République fragilisée, le pacte social en train de se déliter».

«Non à la censure!», «non au putsch!»
Sur le mode «c’est la République qu’on assassine», voilà les députés communistes et Parti de gauche qui déboulent salle des Quatre-colonnes, en écharpe et derrière une grande banderole. «Non à la censure!», «non au putsch!» «Nous avons été censurés sur ordre, nous n’avon pas pu défendre nos propositions alternatives pour la retraite à 60 ans», dénonce Marie-George Buffet. Devant la grille du Palais-Bourbon, ils rejoignent les sénateurs PCF et PG, avant de se fondre dans la manifestation sur le pont de la Concorde.

Retour aux Quatres colonnes où chacun déroule ses arguments juridiques. Ainsi du député UMP, Thierry Mariani, à l’origine de l’article 49-13 du règlement de l’Assemblée:

«Chaque député peut prendre la parole, à l’issue du vote du dernier article du texte en discussion, pour une explication de vote personnelle de cinq minutes. Le temps consacré à ces explications de vote n’est pas décompté du temps global réparti entre les groupes par dérogation à la règle énoncée à l’alinéa 8.»

«Parodie de démocratie infantile»
«Cela devait permettre à chaque député dont l’avis est divergent de son groupe de s’exprimer, rappelle Mariani. Ce n’est en aucun cas pour que 200 députés bégaient la même chose.» Sauf que cette nuance n’est pas mentionnée explicitement. «Dans chaque texte, il y a la lettre et l’esprit dans lequel le texte a été voté», tente l’élu. Lionnel Luca (UMP), consterné, critique «une parodie de démocratie infantile»: «Répéter 165 fois la même chose, moi, je ne me sentirais pas le ridicule de faire ça.»

Les socialistes, eux, en font une autre lecture. «La Constitution permet aux élus de la nation d’exercer leur droit d’explication personnelle», ajoute Ayrault. Pour la peine, son groupe quittera l’hémicycle après le vote sur les retraites et ne siègera pas pour les textes du soir. Et menace de porter au conseil constitutionnel «l’ensemble de la loi», saisine «qui portera aussi» sur l’épisode du matin.

Avant ce recours, le texte sera discuté par les sénateurs à partir du 5 octobre. Ambiance garantie. Nicolas Sarkozy vient d’ores et déjà de donner des gages aux sénateurs UMP, leur promettant de la «marge» pour amender le projet de loi, notamment sur la pénibilité. Pas de quoi calmer l'opposition.

(Source: Libération)

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