jeudi 16 septembre 2010

Retraites. Le jour où la droite a censuré le débat à l’Assemblée

Retraites. Le jour où la droite a censuré le débat à l’Assemblée

Ayant de plus en plus de mal justifier la casse de la retraite à 60 ans, la droite a coupé court au débat et imposé le vote de sa réforme, hier. Elle espère casser l’élan de la mobilisation du 23 septembre, avant l’examen du texte au Sénat.

Par 324 voix contre 233, la majorité présidentielle, même si elle n’a pas fait le plein de ses voix à l’Assemblée nationale (quelques députés de droite s’étant abstenus ou ayant voté contre), a voté, hier, le projet du gouvernement qui remet en cause la retraite à 60 ans. Si, à gauche, la conviction est que la bataille est loin d’être finie avec les luttes à venir et le débat en octobre au Sénat, ce sentiment effleure aussi nombre d’élus de la majorité. Récit d’une journée.

6 heures du matin. La tension monte à l’Assemblée. Les députés sont en débat dans l’hémicycle depuis le mardi à 15 heures, sans interruption. Les élus de gauche utilisent tout leur temps de parole pour dénoncer le caractère injuste de la réforme et démontrer que d’autres solutions existent. Résultat : la droite s’énerve et le ministre Éric Woerth se fait insultant. Pire, des députés de gauche, comme le communiste André Chassaigne, se voient empêchés de parler au motif que le temps disponible pour leur groupe est terminé. L’autoritarisme est en route.

7 heures. La droite croit le débat terminé. Le pouvoir ayant imposé le « temps programmé » sur ce projet de réforme, soit 50 heures, c’est-à-dire deux fois moins que pour la précédente réforme de 2003, le président UMP de l’Assemblée, Bernard Accoyer, déclare la fin du débat. Seuls les députés de l’opposition décident d’utiliser un article du règlement, le 49-13, qui permet à chaque élu d’expliquer en cinq minutes les raisons de son vote. Plus de 160 députés de gauche s’inscrivent, prolongeant ainsi le débat de treize heures. La droite, qui voulait en finir au plus vite, fulmine. Le débat se poursuit.

9 h 30. Coup de force de Bernard Accoyer. Après une vingtaine d’interventions de députés de l’opposition, le président UMP de l’Assemblée nationale, dont personne ne peut croire qu’il a pris sa décision sans l’accord, voire sur l’injonction, de Nicolas Sarkozy, met fin autoritairement au débat, privant ainsi 145 députés du droit à la parole. Prétextant un détournement de l’article et une volonté d’obstruction de l’opposition, il annonce « le vote du texte, comme initialement prévu, dans l’après-midi à 15 heures ». Tous les élus de gauche dénoncent cette atteinte à la démocratie, une première dans l’institution parlementaire

9 h 40. La gauche, vent debout. Bernard Accoyer se rend, sous bonne garde, dans ses appartements, des députés le poursuivant aux cris de « démission ». Dans la salle des Quatre-Colonnes, les députés de gauche disent leur colère. Jean-Marc Ayrault (PS) dénonce un « coup de force de l’Élysée ». Pour Marie-George Buffet (PCF), « c’est un acte de censure pour tenter de nous empêcher encore et encore de démontrer que ce projet est injuste et que d’autres choix existent ». La droite se fait discrète. Jean-François Copé, en patron des élus UMP, blanc comme un linge à la sortie de l’hémicycle, déclare que « le président de l’Assemblée est dans son rôle ». Celui de mettre fin au débat démocratique ?

11 h 30. Bernard Accoyer persiste et signe. Lors d’un point de presse, le président de l’Assemblée dément avoir agi sur ordre du chef de l’État et affirme que « l’opposition a eu le temps de s’exprimer ».

12 heures. Copé tente de justifier l’injustifiable. Le chef des députés UMP reprend l’idée d’un « détournement de procédure de la part du PS ». « Le PS et la gauche font de l’obstruction pour masquer qu’ils n’ont pas propositions », explique-t-il. Il admet cependant que ne pas « voter aujourd’hui repousserait le vote de plusieurs semaines ». La crainte de la jonction avec la journée de manifestation du 23 septembre est perceptible.

12 h 30. Les socialistes demandent la démission d’Accoyer. Pour Jean-Marc Ayrault, « le président de l’Assemblée s’est rendu coupable de forfaiture » et doit quitter sa fonction.

13 h 15. Les députés communistes et du Parti de gauche rencontrent les manifestants. Ceints de leurs écharpes tricolores, les députés PCF-PG traversent les couloirs de l’Assemblée, rejoignant les sénateurs communistes devant les grilles du Parlement. Ensemble, aux cris de « la retraite à 60 ans, la bataille continue », ils rejoignent, après avoir traversé plusieurs rangs de CRS, des milliers de manifestants massés sur le pont de la Concorde, venus dire leur refus de cette réforme et leur exigence d’être entendus. L’accueil est plus que chaleureux. Les députés expliquent, à l’instar de Roland Muzeau, que leur « place est ici et au Parlement pour ensemble gagner le rejet de cette réforme… Et c’est possible ».

15 heures. Vote solennel.

Sous les huées de l’opposition, Bernard Accoyer ouvre la séance. Dans l’hémicycle, à l’initiative des élus communistes et du Parti de gauche, les députés de gauche portent l’écharpe tricolore pour affirmer que la République est malmenée. Jean-François Copé (UMP) et François Sauvadet (Nouveau Centre) répètent que cette réforme est « la seule possible ». La gauche, par la voix de Jean-Marc Ayrault pour le PS et Martine Billard pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (PCF, PG, Verts), explique les raisons de son refus et appelle à « poursuivre et amplifier la mobilisation populaire pour faire céder le gouvernement ».

(Source: L'humanité.fr)

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